Rabah Bouguerra
21, avenue Julien Bailly
46100 Figeac
Tél. 0679652322
Email. h.r.bouguerra@gmail.com
Figeac, le 15 février 2021.
Objet : rapport sur les questions mémorielles …
Monsieur Benjamin Stora.
Cher Monsieur,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’attention,
votre rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation
et la guerre d’Algérie » que vous venez de remettre à Monsieur Emmanuel
Macron, Président de la République.
J’ai beaucoup appris de ce document qui parfois
nomme des faits ou des situations de façon trop consensuelle. Aux amis, il faut
dire la vérité, c’est la seule façon qui permet de progresser et de nouer de
nouvelles et solides relations. « A mal nommer les choses, disait Albert
Camus, on accroît les malheurs du monde. »
J’ai relevé un fait historique inexact,
probablement mineur mais dont l’interprétation interroge et divise. Vous situez le début des
« massacres » des harkis en juillet 1962, comme le fait votre collègue,
Jean-Jacques Jordi dont les arrières pensées apparaissent clairement. Jean-Jacques Jordi veut tout simplement
exonérer la France de ses responsabilités. Ces « massacres » avaient
commencé quelques semaines après le cessez-le-feu, du 19 mars
1962 comme l’avaient rapporté d’autres observateurs. Je pourrais vous mettre en
relation avec un témoin qui à l’époque des faits avait une quinzaine d’années.
Ce même témoin, m’a permis d’écrire l’introduction
d’une fiction autour du parcours des harkis. « La forfaiture du
corbeau » (aujourd’hui sans éditeur mais disponible sur certaines
plateformes). Ce roman a été relativement bien accueilli tant par les ayants
droit de harkis que par ceux que l’Algérie touche de près ou de loin. Il a
obtenu le Prix du Lions de littérature 2013, pour la région Provence- Alpes - Côte d’Azur et Corse. Il a
été salué par la presse locale mais aussi par Marianne, avec une belle critique
de Martine Gozlan, l’éminente spécialiste des questions arabes et maghrébines
ainsi que par Courrier international à l’occasion des 50 ans de l’indépendance
de l’Algérie. Si vous le souhaitez je me ferais un plaisir de vous l’envoyer.
Si le camp de Saint Maurice l’ardoise avait
préalablement « accueilli » les militants de l’indépendance de l’Algérie pour devenir un lieu d’enfermement des harkis
et leurs familles, il en a été de même pour celui du Larzac, précisément à La
Cavalerie.
La mémoire aura du mal à être partagée tant
certains mots éloignent, aujourd’hui encore,
les deux rives de la Méditerranée. Ainsi, on peut lire dans votre rapport, à propos de cette
exposition en Bretagne qui présente « un couteau ramassé sur le corps d’un
fellagha, sans guillemets ni
renvoi (p.73). Fellagha (pluriel de
fellag, était un petit métier de service
qui consiste à « exploser » (arabe algérien) des bûches de bois,
aujourd’hui, en France, on dit tout
simplement, couper le bois) est un terme
péjoratif pour nommer les résistants de la cause algérienne. Si on tient compte de sa mauvaise orthographie, le h n’a
pas lieu d’y être, donnant un son totalement différent. Ce mot n’a pas sa place
dans un dialogue de réconciliation.
La place de l’histoire et plus particulièrement
celle de la colonisation est liée à celle de l’éducation dont vous recommandez
l’amélioration et le développement comme le fait Jean Louis Roy. Or les
gouvernements successifs ont laissé le système éducatif partir à la dérive.
Pendant des décennies, 160 000 jeunes quittaient, annuellement, les dispositifs éducatifs en
situation d’échec. Ces jeunes qui se concentrent, essentiellement, dans les
grandes banlieues, sont d’origine africaine et maghrébine. Ils sont en première
lignes et de fait, les victimes, dans ce que beaucoup appellent « les territoires perdus de la république ».
10 millions de français n’ont pas le bac et 3 millions sont dans une
situation de détresse absolue au regard de la maîtrise de la langue française.
Dans cette situation, il n’est guère possible d’imaginer un avenir radieux.
Et pourtant, une vraie solution existe et qui donne
des résultats prodigieux mais les responsables, à haut niveau, n’en veulent pas. Cette petite clé qui ouvre
de grandes portes a un nom : le
diplôme d’accès aux études universitaires par abréviation le Daeu. C’est l’équivalent de plein
droit du baccalauréat. Avec cette appellation, il existe depuis plus de 25 ans
mais sous son appellation originelle, il a plus de 50 ans ! Je l’avais
personnellement expérimenté pendant 12 ans, en partenariat avec l’université de
Toulouse Jean Jaurès. Partant de cette expérience, il suffirait de mettre en
place ce dispositif partout à travers le territoire national pour permettre à
la république de retrouver la cohésion qui lui manque tant. Le coût d’un tel
projet est vraiment dérisoire. J’ai
traduit cette expérience en un
livre : Le diplôme d’accès aux
études universitaire (Daeu) : un ascenseur social ? Editions du bord
du Lot, 2013, préfacé par le professeur Yves Lignon, un grand acteur de ce
dispositif. Ce projet ferait passer le nombre de diplômés de 5 000 à
50 000 par an, avec une hypothèse basse. Si vous le souhaitez, je vous en
adresserai un exemplaire.
J’ai soumis ce
projet à un premier ministre dont le cabinet m’a manifesté beaucoup d’enthousiasme.
Hélas, celui-ci n’eut aucun effet sur les départements du ministère de
l’éducation nationale qui l’enterrèrent rapidement. Mais comment peut-on bannir
un projet éducatif qui ne peut qu’être bénéfique à la nation ? La raison
est bien simple : je dénonce ma spoliation réalisée avec la complicité des
services de l’état et de la justice. En effet, j’ai été spolié comme le furent
les juifs au cours des pages sombres de l’histoire de France et ce fait
bouleverse bien des secteurs de la société et leur renvoie des images
douloureuses du passé. En m’éliminant de la scène publique, ils pensent rendre
invisible une spoliation qui salit la République même. Ils ne se rendent même
pas compte qu’ils croient me punir alors qu’en réalité ils punissent la France
et les français.
Ma spoliation
s’est produite en 2008… et elle dure encore. C’est dire l’ampleur de la tâche.
Si je vous
expose l’intérêt du Daeu c’est pour souligner l’importance de la masse critique
des exclus en espérant que leur nombre connaîtra une réelle décroissance. C’est
la seule voie démocratique pour lutter contre l’islamisme et le séparatisme qui
n’est que la conséquence du chaos dans lequel se trouve le système social et de
sa composante principale : le système éducatif.
Je ne
m’attarderai pas sur l’enseignement de l’histoire commune aux deux pays aux
différents cycles de l’enseignement et dont vous soulignez l’importance.
Cependant, il est aussi possible de mettre à jour la matière
« histoire » dans le cadre du Daeu. Cette matière, en l’état de la réglementation,
est optionnelle. Ce statut peut être maintenu. De même et cela mérite d’être
souligné, au titre des matières obligatoires, certains candidats choisissent la
langue arabe. Au terme de mes 12 années d’expérience, je peux dire que la
cohésion nationale s’affirmait au fil des ans comme l’épanouissement personnel
qui se mettait au service de la société.
Ce même Daeu,
peut être proposé aux descendants de harkis également frappés par l’échec
scolaire. Ainsi, ils renoueront avec le succès et le sentiment d’appartenance à la collectivité nationale.
Imaginez un
seul instant, que ce Daeu se mette en place en Algérie (Mais aussi en Tunisie,
au Maroc et partout en Afrique) pour qu’il devienne le trait d’union entre les nouvelles
générations. (Aujourd’hui, des structures privées proposent le Daeu au Maroc
mais à un prix qui exclut les classes défavorisées.). Avec une telle ambition,
les gouvernements comme les citoyens, de part et d’autre de la Méditerranée,
seraient les grands gagnants.
Vous avez
aussi exprimé le vœu des harkis, au grand âge, d’être enterrés sur la terre de
leurs ancêtres. Cette démarche vous honore. J’ai personnellement, recueilli ce
souhait à l’occasion du travail exploratoire à l’écriture de mon roman.
L’Algérie et les Algériens qui ont mûri, sauront ouvrir leurs cœurs à ceux qui
n’ont jamais cessé de souffrir.
Enfin, je dois
vous dire que beaucoup d’Algériens vivant en France, qui ont servi la
République et le peuple français mieux que quiconque, et qui sont,
aujourd’hui, victimes d’injustices, comme
si pour eux, la période coloniale ne
s’était jamais arrêtée, leur situation doit faire l’objet d’un examen attentif
selon toute procédure et tout moyen que l’Etat jugera nécessaire à la
réparation des préjudices subis.
Vous concluez
votre rapport en citant un certain
nombre de structures essentiellement associatives qui œuvreraient en faveur de
l’amélioration des relations entre la France et l’Algérie. Il n’en est rien pour la majorité
d’entre elles, pire encore, elles en
sont un facteur de détérioration. Les associer à une démarches de
réconciliation des mémoires c’est vouer le projet à l’échec. Je ne cite que 2
exemples : Sos-Racisme au lourd passé passif et son Président,
affichent un mépris sans nom à l’égard
des algériens qui les sollicitent, de
même « Le Maghreb du livre » malgré mon insistance, n’a jamais voulu
m’accueillir pour « La forfaiture du corbeau »… pourtant au cœur de
l’histoire commune. Si la raison principale est le fait que je ne fais pas
partie du cercle des amis, alors quel crédit accorder à cette
association ?
Si vous
souhaitez m’accueillir en entretien pour approfondir un point ou un autre, je m’y rendrai avec beaucoup de plaisir.
Je vous prie
de croire, Cher Monsieur, à l’expression de mes sincères salutations.
Rabah
Bouguerra