La fabrique de l’islamisme (1)
La fabrique de l’islamisme est un
volumineux rapport (600 pages !!) produit en septembre 2018 par l’Institut
Montaigne (un think tank - pour les snobs - une institution de réflexion pour
les autres) avec tout de même un budget de 4,5 millions d’euros, en totalité
d’origine privée, nous rassure-t-on. Ouf !
Ce rapport a été élaboré sous la
direction de Hakim El Karoui, agrégé de géographie, consultant auprès des plus
grands de ce monde. Un parcours qui ressemble parfois à celui d’Emmanuel
Macron, sans doute le fait du hasard. Hakim El Karoui a créé son propre cabinet
de conseil stratégique Volentia et il a été à l’origine de structures comme le
club 21e siècle ou Young Mediterranean Leaders.
En quoi consiste ce travail ?
La fabrique de l’islamisme est
une compilation de documents et d’autres sources d’informations, comparable aux
travaux préliminaires auxquels tout chercheur doit consacrer du temps. L’unique intérêt de ce travail est de vous mettre entre les mains, 14 siècles
d’histoire de l’islam et de l’islamisme. Cependant, en fin de lecture, je ne
suis pas certain que vous puissiez faire la distinction entre l’un et l’autre.
L’auteur lui-même navigue à travers la mouvance islamiste, sans pouvoir
distinguer la lumière de l’obscurantisme. Et pourtant, il nous indique que 72 %
des musulmans de France, sont en parfait accord avec les valeurs de la
République et donc 28 % qui ne le sont pas. Cependant ces chiffres ne suffisent
pas à rassurer. Le doute subsiste autant que les amalgames.
Mais qui est Hakim El Karoui ?
Hakim El Karoui, n’est sans doute
pas connu du grand public. Les seules informations rapportées brièvement par
certains médias le présente comme un islamiste alors que son parcours objectif,
est comparable à celui des grands commis de l’Etat. Soyons sérieux, ce n’est
parce qu’il écrit sur l’islam et l’islamisme qu’il en devient un leader.
D'autres ont écrit sur la drogue, sur les violences et autres sujets aussi
sensibles, on ne les a pas taxés, pour autant, de dealers, de violeurs ou de
terroristes. Curieusement, nous n’avions pas entendu le moindre soutien à Hakim
El Karoui. Ses collègues et amis comme les autres, les musulmans comme les autres
n’ont sans doute pas entendu les critiques acerbes déversées sur l’homme qui
aurait toute la sympathie des travées du pouvoir. Il faut dire que ce sentiment ambigu que
certains ont pour l’auteur résulte de l’ambigüité du rapport lui-même : la
fabrique de l’islamisme ne démontre rien.
Pourquoi ce travail ?
Hakim El Karoui l’affirme sans
détour aucun (p.12) les causes du succès de l’islamisme et du salafisme, une de ses composantes, en France, ne font
pas l’objet de son travail. Il exclut également la recherche des
« responsabilités des uns et des autres ». Ces aspects seront traités
dans un prochain ouvrage, nous promet-il. Ce choix limite considérablement l’intérêt de ce volumineux travail.
Hakim El Karoui reprend à son
compte tout ce qui a été dit ou écrit sur le sujet : « l’islamisme
serait la résultante d’une misère
socioéconomique et l’abandon des banlieues par l’Etat ». C’est la thèse
de Farhad Khosrokhavar, sociologue
d’origine iranienne. Il suffit d’aller faire un tour du côté des grandes cités
populaires pour le constater. Les plus hauts responsables du pays ont confirmé
ces observations. Pour Olivier Roy, l’islamisme est lié à la volonté de
radicalité des individus, ainsi la disparition de Daech n’entraîne pas celle
des islamistes. Enfin pour Gilles Kappel, c’est l’islam lui-même qui se
radicalise sous l’action des mouvements extrémistes. L’islamisme serait une
sorte de « guerre civile » au sein de l’islam. Il serait aussi une
réaction des musulmans face aux intrusions de l’occident (dans les pays
musulmans : Irak, Syrie…). En somme, il faudrait un « petit
chouia » de chaque ingrédient pour obtenir un plat indigeste.
Les insuffisances méthodologiques ?
Ce rapport présente des
insuffisances manifestes. Il expose et tente même d’inculquer l’idée que
l’islamisme en France a pour origine ce qui s’est produit au moyen orient, notamment avec la chute de l’empire ottoman.
Naturellement le lien existe mais il n’est pas décisif. Les liens seraient à
rechercher, juste en face, au Maghreb et en Afrique subsaharienne.
De troublantes similitudes ?
Depuis 30 ou 40 ans la situation
des grandes banlieues françaises ne cessent de se dégrader : le système
éducatif a lamentablement échoué et la justice avec les forces de l’ordre, sont
très souvent décriées. 160 000
jeunes quittaient annuellement le système éducatif en situation d’échec, la
masse qu’ils constituent aujourd’hui est
d’au moins 3 millions d’individus. Avec le gouvernement précédent, Madame Najat
Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, annonçait, sans apporter
la preuve, qu’ils n’étaient plus que 90 000. C’est encore, trop de personnes livrées à
toutes les tentations y compris celle de l’islamisme.
Manuel Valls, premier ministre
qualifiait certaines banlieues de ghettos, beaucoup en avaient frémi et
personne ne l’avait contredit, tant sa vision décrivait des situations
fréquemment observées. Plus récemment encore, Gérard Collomb, l’avant-dernier
ministre de l’intérieur, livrait un
diagnostic encore plus sombre. Il faut lire et écouter le général d’armée
Pierre de Villiers, pour comprendre la nécessité d’avoir de la hauteur sur une
situation délicate mais aussi explosive (2).
La situation dans ces ghettos est comparable à
celle du Maghreb et plus particulièrement de l’Algérie qui, la première, a atrocement souffert de l’engagement
islamiste. J’entends déjà les cris d’orfraie de ceux qui n’ont jamais pris la
mesure du phénomène et qui ne sauront jamais proposer une solution adéquate.
Comparons les deux
situations : de part et d’autre de la Méditerranée nous retrouvons les
mêmes ingrédients : dégradation continue du système éducatif, errance du système judiciaire (Il suffit de
faire un tour sur les réseaux sociaux), misère socioéconomique et surtout une
gestion catastrophique des nouvelles situations ayant en apparence une
incidence mineure (Clientélisme électoral, attribution de subvention
injustifiées, achat de la fausse paix sociale et disons le brutalement la
multiplication des actes de corruption…) Il y a juste lieu de distinguer une nuance :
d’un côté c’est un pays tout entier qui se trouve gangrené et de ce côté-ci
c’est une multitude de territoires
géographiquement éloignés les uns des autres mais en tous points ressemblants grâce aux interconnexions.
La fabrique de l’islamisme aurait
dû s’atteler à ce chantier. Elle le fera sans doute à l’occasion d’une
prochaine contribution.
Dans leur volumineux rapport,
Hakim El Karoui et son équipe, ont négligé le Maghreb et l’Afrique
subsaharienne au bénéfice du Moyen orient et de ses acteurs les plus actifs sur
la question : le Qatar et l’Arabie Saoudite qui contrairement à ce que
suggère ce document, n’ont pas une base populaire en France. Alors,
naturellement, ils tentent d’en construire une par le biais du financement
d’une foule d’actions toutes drapées d’un caractère social, évident ou pas. Il
serait peut-être plus juste de dire
que ces pays essaient plutôt d’acheter
une base populaire qui sera leur relais en vue d’étendre leur vision de
l’islam.
Le rapport se termine par des
rappels fort utiles avec un glossaire parfois approximatif :
Oulamas – En principe sans s, mais les mauvaises habitudes ont pris
le dessus - (Tiré de l’association des Oulamas, en Algérie) : veut bien
dire savants mais au pluriel. Un savant se dit Alim ou Alem.
Talibans : veut bien dire étudiants, tiré de l’arabe talib ou
taleb et que la langue pachtoun a adopté
avec une prononciation qui lui est propre. L’origine arabe du mot permet de
faire immédiatement le lien avec El Qaïda…
Des approximations de cette
nature sont multiples et nous ne nous risquons pas à en faire un chapelet. Mais plus étonnant encore de la part de cet
intellectuel, c’est le fait qu’il classe les soutiens à Tariq Ramadan et à
Mennel Ibtissem (La lauréate de The Voice) dans la catégorie : islam politique.
C’est ahurissant de la part d’une équipe qui prétend démonter les mécanismes de
l’islamisme. Ces deux personnalités,
l’islamologue et la chanteuse, ont sans
doute des soutiens appartenant à l’islam politique mais pas que, mais et
surtout, elles ont des soutiens qui n’ont rien à voir avec l’islam politique ou
pas. C’est au nom d’une valeur républicaine : l’égalité de traitement que
Tariq Ramadan est soutenu. Pourquoi est-il en prison alors que d’autres sur
lesquels sont portées les mêmes accusations, sont en liberté. C’est injuste et
c’est cette injustice qui renforce l’action des islamistes. La fabrique de
l’islamisme a bien des grains de sables dans le mécanisme de son engrenage qui
illustre ce rapport.
M. Tariq Ramadan est, à présent, libre en attendant un éventuel procès et
depuis, ses « soutiens issus de l’islam politique » sont de moins en
moins nombreux et cela ne signifie nullement que l’islamisme a régressé…
Conclusion :
La fabrique de l’islamisme est
sans doute utile pour muscler sa connaissance de l’islam et de l’islamisme mais
elle n’est d’aucune utilité pour élaborer un plan d’actions. Les élus comme
toutes les personnes en responsabilité se retrouveraient devant des questions sans réponses. Où est
l’islam ? Où est l’islamisme ?
Les amalgames ne feront qu’accentuer les incompréhensions.
Au fronton de ce rapport on peut
lire une citation attribuée à Michel Montaigne : « Il n’est désir
plus naturel que le désir de connaissance ». Nous avions immédiatement
pensé à une ouverture en direction, notamment des exclus du système éducatif
qui ont, pour la majorité, une très grande soif d’apprendre. Il n’en est rien.
C’est probablement le vœu de l’institut Montaigne d’inciter ceux qui en sont
capables d’accéder à plus de connaissances.
La République a besoin de reconquérir rapidement les
territoires perdus, et ce sont des responsables de premier rang qui
l’affirment. Naturellement, la rénovation urbaine est à poursuivre avec une
réelle mixité sociale. Les établissements d’excellence dans les quartiers difficiles
doivent être développés car ils ont une double vocation : favoriser la
rencontre des populations tout en réalisant une insertion sociale active et une
insertion professionnelle durable.
Pour la reconquête de ces
territoires, certains élus n’ont pas hésité à proposer l’intervention de l’armée
et le renforcement des services de
police et du renseignement, en somme à déclarer l’état de siège. C’est l’option
répression qui ne peut être envisagée qu’en dernier recours. Dieu merci, nous
n’en sommes pas là !
Plus récemment encore dans le
cadre du « plan banlieue » Jean-Louis Borloo a proposé, outre les
premières actions indispensables à la rénovation urbaine, la mise en place de plateformes numériques,
une solution totalement inadaptée. Non seulement ces plateformes ne
trouveraient pas de clients locaux mais aussi risquent de démotiver pour
longtemps des personnes en recherche de réelles solutions.
La mesure de dédoublement du Cp
et bientôt du Ce1 prise par l’actuel ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel
Blanquer, est particulièrement
pertinente. C’est une décision attendue depuis des décennies et qui aura pour
effet de réduire considérablement les sorties prématurées du système éducatif.
Cette réforme en profondeur réduira les déterminismes liés à l’échec scolaire.
C’est aussi une contribution à la reconquête des territoires perdus. Malheureusement,
ce ne sera pas suffisant. Il faudra résorber la masse de 3 millions de
personnes qui essaient de vivre comme elles peuvent. L’état dispose d’un outil
particulièrement performant mais hélas sous utilisé et disponible seulement là
il y a déjà un grand nombre d’écoles, d’instituts et de centre de formation et
de perfectionnement. Ce dispositif s’appelle le Daeu ou diplôme d’accès aux
études universitaires… Nous l’avions expérimenté sur des territoires ruraux et
les résultats sont tout simplement prodigieux. La généralisation aux zones
urbaines s’impose comme une évidence. Au cours de cette préparation, l’usage d’outils numériques pourrait
préfigurer les plateformes chères à M. Jean-Louis Borloo. Le Daeu c’est
l’acquisition d’une relative maîtrise de la langue et la culture françaises,
une base à partir de laquelle tout devient possible … (3)
La reconquête des territoires
perdus et la consolidation des autres se fera par l’éducation ou ne se fera
pas. C’est cela la raison que suggère
Hakim El Karoui. Naturellement, les autres mesures comme l’amélioration de
l’habitat et des conditions de vie et la lutte contre les discriminations ouvriraient les perspectives nouvelles et
sincères au vivre ensemble, dans le respect et la fraternité.
1
- Note de lecture critique du rapport produit
par l’Institut Montaigne : la fabrique de l’islamisme (Septembre 2018)
Par Hacène
Rabah Bouguerra,
Psychologue du travail, spécialiste des questions d’éducation et d’orientation.
2
- Qu’est-ce qu’un chef ? Général d’armée Pierre
de Villiers, éditions Fayard, 14 novembre 2018.
3
- Le Diplôme d’accès aux études
universitaires (Daeu) : un ascenseur
social ? Editions du bord du Lot, mai 213.
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